La petite enfance
Je suis l’heureuse mère de garçons, très dynamiques et intelligents. C’est peut-être ce « dynamisme » qui fut le plus difficile à gérer lorsque j’étais jeune maman. Notre premier enfant nous l’avions tellement désiré, attendu, qu’il n’a manqué de rien durant ses premières années : c’était un bébé très souriant, très expressif, joyeux. Je le revois courir dehors dans les parcs, sur les trottoirs, il cavalait. Il fut propre très tôt, bipède à ses 11 mois, un bel appétit, et toujours dans la communication. J’insiste sur ce point : aucun retard de développement perceptible depuis la naissance jusque vers ses 3 ans, l’âge d’entrée en maternelle. Il nous répondait très bien, riait souvent, pointait les objets avec son index. Nous n’étions pas opposés aux écrans, mais hormis la télévision, nous n’en avions tout simplement pas d’autres. Et il n’était pas imaginable de prêter un téléphone portable à notre enfant. Cependant, notre fils présentait des troubles du sommeil : un sommeil difficile, beaucoup de pleurs, et souvent des nuits sans sommeil au cours desquelles il ne semblait pas remarquer qu’il faisait nuit.
La maternelle puis l’école primaire
Avec l’entrée en maternelle, ce sont des rencontres de mamans, des échanges et des discussions. Je me souviens un soir, avoir été très surprise par une petite fille de trois ans, dont je connaissais la mère : elle avait un débit rapide, était précise et pertinente. Ce jour là, j’ai subitement réalisé que mon fils n’avait pas cette facilité d’élocution, comme s’il cherchait ses mots, l’ordonnancement de ses phrases, le retardant ainsi dans son expression auprès de ses pairs : mon fils ne parvenait pas à prendre la parole comme il l’aurait voulu. J’avais trouvé une très bonne explication : l’usage de la tétine, qui était depuis la naissance chez lui un besoin quasi permanent. Il en avait d’ailleurs toujours de rechange, dans ses poches, cachées dans ses mains. Mais il avait grandi, il entrait maintenant en CP. Souvent, par mégarde, je lui coupais la parole, m’exprimant moi-même rapidement et avec aisance, et n’ayant probablement pas la patience d’attendre qu’il pose ses mots. Jusqu’au jour où mon fils m’a crié : « Maman, laisse moi le temps de m’exprimer ! » du haut de ses 6 ans. Je me suis sentie une mauvaise mère, j’ai culpabilisé, et nous avons consulté au plus vite une orthophoniste, laquelle a simplement identifié une difficulté de prononciation de certaines syllabes, les fameux « che » et « ze ». En quelques séances, c’était réglé. Pourtant, mon fils avait pourtant toujours un certain manque d’aisance, et avait mis en place une stéréotypie verbale, c’est à dire qu’il avait besoin de commencer ses phrases par une introduction, afin d’annoncer qu’il allait prendre la parole. Il faut avouer que sur tout le reste, mon garçon ne présentait aucune difficulté. A l’école, tout se passait très bien.
Le CE1
C’est ici que les problèmes ont commencé ; je n’ai pas d’explications, sauf à penser que les enfants sentent entre eux des particularités que les parents ou adultes ne soupçonnent même pas. Notre fils n’était plus intégré. Mis à l’écart des jeux, dans la cour, dans la classe. La souffrance de notre petit garçon était mise en place, à notre parfaite insu. Des mois se sont écoulés, sans que réellement nous ne prenions conscience de ses difficultés : bon élève, seul le comportement commençait à poser un réel problème, pour le corps enseignant. Il est passé en CE2, puis CM1. Ls difficultés grandissaient avec lui, il n’était plus invité aux anniversaires, ni à jouer chez ses copains. Et d’ailleurs, il était presque fier de nous dire que non, « il n’avait pas de copains », juste des camarades de classe. Jusqu’au jour où deux incidents se sont produits : le premier, c’est le témoignage d’une maman, que je ne connaissais pas, et dont la fille était déléguée de classe. Je revois cette mère s’approcher de moi et me dire que je ne dois pas rester impuissante, que mon fils « est victime de harcèlement ». J’ai encore du mal à y croire….j’apprends que les copains lui prennent régulièrement son cartable et le lancent dans les escaliers….son matériel revient cassé. il a toujours de bonnes explications, et d’ailleurs, il n’a pas peur de se défendre et se retrouve régulièrement puni. Les avertissements tombent à plusieurs reprises. Le second, c’est l’appel de la direction de l’école, pour nous apprendre qu’en pleine cour, notre fils s’est fait du mal volontairement. Ce sont des moments très difficiles à raconter : un tremblement de terre dans la vie d’un parent, j’ai eu si peur et je me suis sentie si impuissante. Quand on aime ses enfants, et qu’ils souffrent, c’est assez insupportable d’avoir le sentiment de ne pouvoir les aider.
La découverte du trouble
Cet été là, comme chaque année, je redescends en région PACA, dont je suis originaire. J’ai cette chance d’avoir de très bons amis, de presque toujours (depuis la maternelle !) et nous avons cette habitude de nous revoir lors des vacances. Nous étions descendus cette fois avec ma mère. C’était donc une grande tablée, assez bruyante, en bord de mer : le soleil, nos enfants, les amis, la mer, le bruit des voitures qui passent aussi. Mes fils tiennent difficilement en place, surtout quand il y a du bruit. Ce sont des stimulations sensorielles qu’un neurotypique ne perçoit pas forcément. J’avais pris cette habitude qu’ils se lèvent tôt de table, et se mettent à marcher ou courir, honnêtement je trouvais cela normal, les enfants ça bouge. Mon ami V. , se lève et vient me dire que quelque chose cloche, que mon fils n’a pas une attitude normale : je me souvient de mon regard hagard, dans l’incompréhension. J’ai pour habitude de toujours prendre au sérieux ce que les personnes disent, et c’est un château de cartes qui ce jour là s’est écroulé : dans mon fort intérieur, je savais qu’il y avait là une piste à explorer, une possible réponse à toutes mes questions. Je me souviens être revenue dans ma chambre d’hôtel et avoir immédiatement cherché de l’aide et passé plusieurs appels. Nous étions au mois de Juillet. Un praticien m’a appelée le lendemain, je l’avais sollicité pour un diagnostic : deux ans d’attente. Même chose côté psychothérapeute dédié à l’autisme, plus de six mois de délais. Quand on est parent, que son enfant connait un besoin, ce ne sont pas des délais acceptables.
Depuis, le chemin est passé très vite. Les diagnostics ont été posés, je me suis lancée dans l’apprentissage des TND, de leur variété, et j’étudie toujours la compréhension difficile du Trouble du Spectre de l’Autisme, avec sa cohorte de comorbidités, dont les levels du Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. Lorsque l’on plonge dans le monde de la neuroatypie, c’est un champ d’investigations immense. Et les premiers résultats sont là, encourageants, qui nous rendent optimistes. Je conclue mon témoignage en insistant sur le fait que ce sont des amis qui m’ont aiguillée, qui m’ont mise sur le chemin de la découverte des troubles du neuro développement, là où les médecins traitants, pédiatres, généralistes, enseignants, la famille proche, n’avait rien vu. Si j’étais passée à côté, quel aurait été le futur pour mes enfants ?
Merci à toi V., pour ton regard averti, et ton soutien.